• Mon lapin Bien souvent je suis prise de drôles d'envies, aussi soudaines qu'elles sont étranges. Pas de quiproquo, tu seras gentil. Je te parle aujourd'hui de l'envie de poster le prologue de Dollhouse, le roman que je compte publier, parce que ça fait très, très longtemps que je veux écrire un livre. Je veux dire un vrai livre, avec une belle couverture et des pages en papier qu'on tourne avec le pouce et l'index droits.

    Bon, avant de te laisser dans le flou j'aimerai bien procéder à quelques explications, comme la répartition des chapitres peut être un peu spéciale : le prologue que tu vas lire s'appelle "Retrace I : Ashley". Et logiquement tu vas te demander pourquoi.
    Dans Dollhouse, en dehors du personnage principal, il y a quatre protagonistes TRES importants. Ceux-ci sont scolarisés dans un internat créé spécialement pour pouvoir prendre en charge des enfants handicapés, dans tous les sens du terme. Chacun d'entre eux a droit à trois Retraces, des sortes de chapitres flashback, qui vont donc parler d'évènements de leur passé. Et le "passé", c'est tout ce qui se passe avant que le personnage principal rencontre les autres protagonistes. Clair ?
    Si oui tant mieux, si non tant pis. Il est hors de question que j'en dise plus sur l'histoire, sous peine de voir l'intrigue totalement spoilée. Alors pour le moment, pour toi il n'y aura rien que le prologue, un peu comme la démo pourrie d'un jeu payant :D Laul.

    Du coup voilà le lien du chapitre : (LIEN)
    Bonne lecture


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  • Retrace I : Ashley

     

    XX32
    Lundi 25 novembre

    -Je me demande à quoi elle ressemble. Tu penses qu’elle vient pour les mêmes raisons que nous ?
    Ashley haussa les épaules, indifférente. Confortablement allongée sur son matelas et plongée dans la lecture de son roman, elle se contenta de jeter un simple coup d’œil en direction de Lyn, qui était assise sur le rebord de la fenêtre de leur chambre, attendant patiemment l’arrivée de la nouvelle venue.
    -Nous avons sans doute besoin d’un peu de sang neuf dans la bande, poursuivit la petite brune en collant son front contre la vitre glacée, enfin, je présume…
    -C’est amusant que tu dises ça, remarqua Ashley avant de tourner la page de son livre, on dirait presque que tu te forces.

    Les loups tuent les lapins. Ils les dévorent. S’en délectent. Ainsi sont faites les choses, depuis la nuit des temps.
    -Suis-moi. Je jure de ne pas te faire de mal. Tu seras en sécurité là où je t’emmène.

    Telles sont les paroles du prédateur affamé au lièvre égaré, qui, perdu au milieu des congères et transi de froid, n'a d'autre choix que de le suivre avec une candeur forcée tout en opinant du chef. Le pauvre ne sait que trop bien qu'il n'a dans la tanière du doucereux prédateur qu'une place de succulent amuse-gueule. Qu’il est amusant ce lapin ! Frêle créature tremblotante et inoffensive, cachant sa faiblesse en montrant ses deux petites incisives, à peine assez tranchantes pour mâcher une feuille de laitue. Et ce loup, qu’il peut être idiot ! A faire le beau et à remuer la queue comme un chien docile, luttant contre la faim lui tenaillant les viscères à la vue de ce blanc lapereau errant sans défense.

    -Ça se voit à ce point ?, ricana amèrement Lyn tandis ce qu’une auréole de buée commençait à se former sur le verre sous ses narines, j’aurais tant voulu qu’on finisse cette année juste toutes les quatre, avant qu’on se sépare pour de bon.
    -Il n’y a aucune raison qu’on se sépare, voyons !, s’exclama son amie en étouffant un petit rire, pourquoi dire des choses pareilles ? Nous allons nous rendre dans une école et terminer nos études, comme le font tous les gens de notre âge.
    Haussant un sourcil d’un air sceptique, la petite brune laissa Ashley sans réponse le temps de pousser une long bâillement sonore qui fit sourire cette dernière avec tendresse.
    -Honnêtement, tu crois à ce que tu es en train de dire ?
    Après un court instant de silence suivant la question de Lyn, la jeune fille aux longs cheveux aile de corbeau posa précautionneusement son livre sur sa couette, poussant un triste soupir aux accents de résignation.
    -Jamais nous ne ferons comme les gens de notre âge, insista son interlocutrice, et tu le sais très bien.
    -Pourquoi pas, après tout ?

    Le lièvre eut beau être des plus courageux, et le loup des plus aimants, la triste loi de la nature n’épargne aucun individu, quel qu’il soit. Les loups tuent les lapins, ainsi sont faites les choses, depuis la nuit des temps. Un loup, incapable, après avoir quitté sa meute d’assassins, de croire en l’acte qu’il venait de commettre, et un lapin, coupable à la fois de s’être montré trop naïf, et trop sûr de lui. Le plus beau des duos, déchiré par l’implacable réalité du tueur et du tué, du meurtrier et de la victime, du Diable et du pêcheur. Rien n’aura su déranger le déroulement d’un odieux code, d’une farce créée de toute pièce par une force supérieure ordonnant la mort des plus faibles pour le confort des plus puissants.
    Et le loup tua le lapin.

    -Je prendrai aussi une douche avant son arrivée, reprit Lyn en s’étirant longuement, faisant craquer les phalanges de ses doigts.
    -Tu en as prise une tout à l’heure, s’étonna Ashley, tu as déjà oublié ?
    -Non, simplement je me sens… sale.
    Elle tira comiquement la langue en se pinçant le nez comme pour mimer une mauvaise odeur, dans une piètre tentative de détendre l’atmosphère. Voyant immédiatement que sa prestation ne faisait pas rire sa camarade de chambre, elle retrouva promptement son sérieux et éloigna son crâne du carreau de la fenêtre.
    -Je pense que je ne vais pas perdre plus de temps dans ce cas, souffla-t-elle d’une petite voix en époussetant sa longue jupe sombre après s’être relevée, je n’en ai que pour quelques minutes.
    Elle se dirigea d’un pas chaloupant vers la porte de leur salle de bain, passant devant le lit d’Ashley qui la regardait d’un air interloqué. Lorsque Lyn l’eut presque dépassée, la jeune fille se redressa soudain sur son lit, le dos raide.
    -Lyn, lui intima-t-elle en posant avec douceur la main sur son bras, sois gentille avec elle. D’accord ?
    -De qui tu parles ?
    Ashley, en entendant ces paroles néanmoins prononcées avec automatisme, ne put s’empêcher de faire les gros yeux à son amie, qui posa un doigt sur sa bouche d’un air fautif.
    -Si elle l’est avec moi, répondit Lyn en s’autorisant une discrète œillade, je n’ai aucune raison de maltraiter cette pauvre fille.
    Elle décocha son plus beau sourire, si radieux et éblouissant qu’il aurait presque pu paraître sincère aux yeux de celle qui la connaissait désormais par cœur. Elle avait dû s’entraîner dur avant de parvenir à se montrer aussi heureuse.
    Si, tu as même des tas de raisons
    , songea tristement Ashley en réagissant immédiatement à son sourire, lui adressant le sien en retour, tu le sais mieux que moi, Lyn Brooks.
    Tentant du mieux qu’elle le pouvait de ne pas se montrer aussi sinistre qu’elle l’était réellement, la jeune asiatique donna une petite tape amicale dans le dos de la fillette, qui se retira par réflexe.
    -Dépêche-toi de prendre cette douche si tu y tiens, s’exclama-t-elle d’une voix énergique en quittant sa couchette, la nouvelle recrue ne va sans doute pas tarder à arriver.
    Hochant vigoureusement la tête, et faisant danser ses épaisses boucles brunes contre ses petites joues rondes recouvertes de son, Lyn s’empressa de franchir les quelques pas qui la séparait de la porte de la salle de bain, puis y pénétra sans demander son reste.

    Aussi longtemps que le loup fixa en hurlant de douleur la carcasse de son défunt frère animal, rien ne bougea. La dépouille du lapin resta à l’état de dépouille, exposant sur la neige rose de sang son ventre encore recouvert d’un duvet juvénile, ouvert sur ses petites entrailles molles à moitié dévorées. Ses grands yeux sombres sans vie semblaient persister à fuir le regard du meurtrier, emplis de rancœur et d’une déception amère. L’égoïsme insensible de tout être vivant finit toujours par faire le ménage : la survie de l’un contre le sacrifice de l’autre.
    Et le loup tua le lapin.
    Ayant à peine terminé de festoyer sur les restes de son ami devenu repas, le cannibale en deuil fut un bien vite emporté au loin par les vents glaciaux de la mauvaise saison qui n’eurent aucune pitié pour le pauvre animal. Sans pouvoir protéger ou se protéger, aveuglé par la faim et le froid, la bête sauvage n’aura finalement pu résister à la tentation. Promettant un avenir radieux sous un chaud soleil d’été, à n’en plus finir des roulades dans l’herbe grasse et verte à souhait, ne se contentant que d’amour et d’eau fraîche comme n’importe quelle petite créature pure et pacifique.
    Dès les premiers flocons venant fondre contre sa truffe, dès les premières rafales de vent, l’avidité cupide commençait déjà à le dévorer.

    -Elle sera bientôt là…, murmura Ashley pour elle-même, les yeux rivés vers l’extérieur.
    Comme Lyn avant elle, elle regardait désormais en direction du sentier de gravier duquel la nouvelle élève devait arriver. Campée sur ses jambes, droite comme un piqué et les bras croisés sur sa poitrine, la jeune fille comptait attendre dans cette position jusqu’à ce qu’une voiture franchisse la grille pour s’introduire dans le domaine du Foyer.
    La classe des élèves de quatrième année n’avaient reçu presque aucune informations sur cette fille : on les avait prévenus du jour au lendemain, qu’une personne venue tout droit d’un collège public de la ville allait intégrer la classe dans peu de temps. Et que Lyn et Ashley partageraient leur chambre avec elle.
    Face à cet individu sorti tout droit du monde extérieur, la jeune fille voulait à tout prix renvoyer l’image d’une adolescente normale, avec des amies normales. Elle serait une collégienne simplement un peu trop sérieuse et Lyn aurait sa personnalité faite de bonheur aveugle et de sourires. Elles diraient que Briana avait un caractère exécrable, et que Clémentine était une jeune fille très timide et renfermée. Elles devront être comme tous les gens de leur âge.
    Serait-ce elle ?, se demanda soudain Ashley en sentant son cœur rater un battement dans sa cage thoracique.
    Les imposantes grilles de l’entrée venaient tout juste de s’ouvrir sur une Coccinelle mauve, qui avançait lentement en cahotant sur l’étroit chemin au milieu duquel se tenait Mrs Baker, une vieille pie de surveillante générale.
    Dans cette voiture se trouvait la nouvelle camarade d’Ashley. A cette pensée, elle sentit son rythme cardiaque s’accélérer et son ventre se nouer. D’un coin de la manche de son gilet, elle chassa la condensation qui était apparue sur tout le carreau de la fenêtre devant laquelle elle se tenait.
    De la voiture qui se trouvait à présent à l’arrêt émergèrent deux personnes ; la chambre de la collégienne se trouvait relativement loin des portes, et malgré le fait que la vue était dégagée, elle avait beaucoup de mal à discerner avec précision ce qui se déroulait là-bas. Elle put néanmoins identifier un homme, sorti du côté conducteur, et une fillette sur l’autre siège avant. Elle paraissait plus jeune vue d’ici, mais lorsqu’elle vint se placer aux côtés de l’homme qui clopinait vers Mrs Baker patientant quelques pas plus loin, Ashley se rendit compte qu’elle était presque aussi grande que lui.

    Dès les premiers flocons venant fondre contre sa truffe, dès les premières rafales de vent, l’avidité cupide commençait déjà à le dévorer. Ouragans rapaces et cyclones d’avarices, tourbillons sordides et abyssaux maelströms, promesses de l’authentique hiver du loup, ne pensant plus qu’à se remplir la panse, jusqu’à ce que finalement le printemps vienne le sauver de cet enfer de gel.
    Oublié le lapin et oublié l’été sans fin, il n’y avait plus maintenant que lui et les lourds glaçons qui pendaient à son épaisse toison, se confrontant aux caprices des saisons et du creux dans son ventre vide. 

    La douche s'était mise en route dans la salle de bain. Ashley entendait l'infinité de gouttelettes s'écraser contre le sol carrelé, puis s'écouler petit à petit dans un bruit de succion.
    -Pas de doute, se réjouit-elle à voix haute sans pouvoir s’empêcher de lâcher un étrange rictus, voilà notre chère, très chère Eleanor Cooper. Enfin nous allons faire connaissance…
    Une violente bourrasque balaya le parc du Foyer, faisant vibrer le verre de la fenêtre en parvenant à la hauteur des dortoirs.
    -Si tu savais comme il me tarde de te rencontrer…, poursuivit-elle sans quitter des yeux les trois personnages s’échangeant de polies poignées de main, Eleanor Cooper… Nouveau petit pantin de bois dans notre jolie maison de poupée…

    L’hiver était venu.


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